J4 - Les mines infernales de Potosi

La nuit aurait dû être longue, manque de pot, elle est écourtée par une fanfare qui se met à jouer à 6h du matin et passe dans la rue juste en dessous pendant 10 bonnes minutes. On réussit quand même à se rendormir, et nous levons deux bonnes heures plus tard, pour prendre le petit déjeuner au même étage, où nous nous installons à côté de quelques militaires et d'autres touristes. Nous packons nos affaires, et les déposons dans la locker's room du rez-de-chaussée, car le retour de la visite de la mine est prévu pour le début d'après-midi, bien après l'heure du check-out. Dommage, on se serait bien passé de devoir refaire nos sacs à cette heure et de devoir les descendre, alors que nous sommes un poil en retard. Pas grave nous dit la personne en bas, car nous devons attendre un petit quart d'heure quelque chose qui nous échappe.


Allez, nous partons à pieds à 9h15, en compagnie de la personne tenant le bureau dans lequel nous avons réservé hier la visite, et marchons vingt minutes dans les rues de la ville, à prendre un autre chemin que celui d'hier soir, à cause du défilé de ce matin, qui empêche les choses de tourner comme d'habitude. Il fait beau, et nous sommes curieux de découvrir cette fameuse mine, apparemment si spéciale. Le Lonely Planet met d'ailleurs en garde les lecteurs contre les risques encourus, sachant qu'il n'y a aucune norme de sécurité à l'intérieur, que les mineurs mènent leur (dure) vie sans se soucier des visiteurs, passent à côté de vous en poussant des chariots remplis de minerai dans des couloirs d'un petit mètre de large, font exploser des blocs sans prévenir, et que de fines particules de minerais trainent en permanence dans l'air, et s'infiltrent dans les poumons, expliquant que 60% des mineurs ont un cancer après 10 à 14 ans de travail à l'intérieur de la mine. Les conditions d'exploitation n'ont en effet pas évolué depuis 300 ans, lorsque les espagnols tiraient encore une grande partie de leur richesse de cette mine. Aujourd'hui, les filons sont presque épuisés, mais de nombreux habitants de la ville travaillent ici, et la mine y est toujours la principale source de revenus. Les mineurs la détiennent, et sont organisés en coopératives. Le revenu de chacun est uniquement déterminé par la quantité de minerai extrait, ce qui explique que la plupart travaillent 10 à 14h par jour dans ces galeries non éclairées, avec pour seuls outils un marteau et un burin, ainsi que quelques bâtons de dynamite lorsqu'ils peuvent se les payer. Bref, ici, Germinal est toujours d'actualité. Nous arrivons enfin au minivan qui va nous emmener à l'entrée de la mine, et rencontrons Helena, de l'agence "Amigos de Bolivia", recommandée par des espagnols croisés à San Pedro, et qui va nous servir de guide. Le hasard fait bien les choses, car nous ne savions pas que l'hôtel passait par cette agence pour les tours qu'il propose. En marchant vers un magasin où nous allons acheter deux ou trois choses pour les mineurs (une tradition, qui veut que les touristes aident les mineurs en leur apportant à boire, de la dynamite, des cigarettes, ou autres...), Helena nous parle de la ville, de la mauvaise distribution des richesses, des huit familles qui tiennent l'économie locale, des difficultés sociales, ainsi que du président Evo Morales. Un discours qui nous semble un peu forcé, ultra socialiste, mais qui a probablement ses raisons d'être dans ce pays particulièrement pauvre et corrompu, où la lutte des classes est une notion qui a encore un peu de réalité (mais est aussi clairement entretenue à des fins politiques par le pouvoir), et dans cette ville où les conditions de travail datent en effet d'un autre temps. Dans les rues, nous croisons toujours ces femmes habillées traditionnellement, partout, aux visages typés. Nous avons l'impression d'être bien imprégnés par le pays, et la culture andine. Tout cela n'a rien à voir avec le Chili. Nous passons par le magasin, et achetons quatre boissons énergisantes. Helena nous montre la dynamite utilisée, et nous explique comment elle fonctionne. Nous aurions aussi pu acheter des feuilles de coca, ou d'autres choses listées ci-dessus. Des magasins vendant du matériel pour mineurs parsèment les rues autour. Nous avons un peu l'impression d'aller au zoo et de nous préparer pour cela. Mais nous le savions, cela fait partie de la chose.


En compagnie d'autres touristes, le minivan nous emmène autre part pour enfiler une salopette protectrice et une paire de bottes, et récupérer un casque et la petite lumière accrochée au dessus. Puis nous partons sur les hauteurs de la ville, offrant du coup une belle vue, et rejoignons une des entrées de la mine, située bien sûr sur les flancs de la montagne qui surplombe Potosi. Nous arrivons au milieu d'une terre aride, rose, et passons au milieu d'anciennes habitations en pierre, très basses, qui servent aux mineurs pour se changer. Des wagons ou chariots en métal trainent un peu partout. Du sang de lamas a été jeté sur les murs, près de l'entrée, afin de favoriser la chance. Nous avons enfilé nos habits protecteurs, et sommes prêts à entrer dans ce tunnel haut et large d'un mètre cinquante, à suivre les rails par terre, en marchant dans des flaques ou des zones un peu innondées et en s'éloignant peu à peu de cette entrée de lumière qui devient un point au loin après cinq bonnes minutes. Nous entendons des gouttes d'eau tomber par terre, et s'écraser dans l'eau stagnante. Seule la lumière de notre frontale éclaire les quelques mètres devant nous. Nous marchons courbés, parfois accroupis, pour avancer, et suivre Helena. Le chemin a été creusé à la main. Les parois ne sont jamais régulières, et découvrent leur couleur jaune, rouge, ou turquoise lorsque nous éclairons celles sur nos côtés, pour être quasiment le nez dessus tellement le couloir est étroit. Il vaut mieux ne pas être claustrophobe. Nous ne sommes que 3, puisque les autres touristes sont partis avec un autre guide. Par terre, toujours ces rails, enfoncés dans la terre, plus ou moins recouverts d'eau. 800 mineurs travaillent ici. Mais aujourd'hui, nous n'en verrons qu'un, à cause de la fête nationale. Celui-ci nous dépasse, et grimpe à mains nues sur la paroi, une dizaine de mètres plus haut, à travers un autre corridor qui part sur la droite. Son territoire, qu'il a ouvert lui-même, pensant suivre, à tort ou à raison, un filon exploitable. Il n'a qu'un burin, un casque, et un marteau. Helena lui indique que nous avons laissé une boisson énergisante à son attention à nos pieds. Ici, les notions de distances ou de temps perdent leur sens. Dans le noir, dans ces tunnels sans visibilité, plus adaptés aux nains qu'aux personnes de taille normale, à passer dans des nuages de poussières, impossible de savoir l'heure qu'il est. Vous êtes dans la montagne, en son coeur. Nous continuons, bifurquons, passons sous des ouvertures où les cales de bois servent à maintenir la structure rocheuse, et d'où tombent fréquemment des gravas, prêts à être emportés par les chariots qui circulent (sauf aujourd'hui... dommage pour nous), poussées par deux hommes à l'arrière, et deux devant utilisant une corde pour le tirer jusqu'à la sortie. Nous repensons à la mine d'opale aujourd'hui transformée en musée que nous avions visitée en Australie, qui nous avait elle-même fait penser aux mines d'or des siècles passés. Aujourd'hui, tout cela est une réalité, et nous l'avons devant nos yeux. Helena nous emmène dans un passage étroit, où nous devons nous allonger pour passer. Inutile de parler de la poussière de roche qui forme un nuage devant nous, soulevée par notre passage. A croire que nous faisons de la spéléologie. Nous prenons quelques photos, et découvrons grâce au flash (qui éclaire tout en même temps) certains détails, qui nous échappent à cause de la faiblesse du rayon lumineux de notre torche qui nous sert de repère. Nous avançons presque à tâtons, en baladant notre tête pour nous faire une idée de ce qui nous entoure, sans jamais avoir une vision globale de l'endroit où nous sommes. Nous tombons à un moment sur une statue, qui fait presque peur dans le noir, découverte par ce rayon lumineux qui n'en dévoile qu'une partie (contrairement à la photo et au flash qui permet d'en voir l'intégralité). C'est en fait un dieu inventé par les espagnols pour contrôler les mineurs (c'est toujours commode), utiliser leurs croyances de l'époque à l'avantage du colonisateur, et se déresponsabiliser des malheurs qui pouvaient arriver dans la mine. Bref, du connu, et de l'efficace dans l'histoire de l'humanité. Aujourd'hui, ce dieu est toujours présent. Des sacrifices, auparavant humains, mais aujourd'hui d'animaux, sont effectués en l'honneur de la montagne, et de la Pacha Mama. Un squelette d'animal en décomposition est d'ailleurs à une trentaine de centimètres de nous, lorsque nous nous asseyons pour faire une pause et écouter Helena nous parler de l'histoire de la mine. Tout cela ressemble un peu à un lieu vaudou, ou quelque chose du genre. Nous continuons, reprenons notre marche, toujours aussi courbés. A un croisement, où quelques grands sacs ont été laissés par des mineurs, nous laissons les autres boissons énergisantes, qui leur serviront quand ils reviendront demain ou après-demain. Nous arrivons, comme tout-à-l'heure, sur une sorte de hall, au carrefour de plusieurs chemins. En regardant de plus près, la roche est rouge, partout. Bizarre. Parfois, des filons jaunes, ou une poussière turquoise puis blanche apparait, sans savoir ce que cela est. Néanmoins, et contrairement à ce que nous pensions, c'est principalement du zinc qui est extrait ici. On se croirait dans un décor de film hollywoodien, sauf que tout cela est une réalité, notamment pour ceux qui travaillent malheureusement ici, parfois dès quinze ans, et tentent de nourrir leurs proches. Enfin, nous retrouvons l'entrée de la mine, sous forme d'un rond blanc, qui grossit, se rapproche. Nous ressortons, éblouis par la lumière du jour. Nous soufflons un bon coup. Nous partageons nos impressions, et discutons avec Helena, qui nous explique que certains mineurs n'apprécient pas la présence de touristes. Un débat qui nous semble légitime. Nous attendons un peu, et remontons dans le minibus pour rentrer en centre-ville. Sur le chemin, Helena nous demande de lui traduire des phrases espagnoles en français, qu'elle note sur un calepin, voire sur son bras, pour les ré-utiliser avec des touristes français, et les apprendre dès aujourd'hui. Dans quelques temps, elle pourra faire des tours en français, une langue dont elle a déjà quelques bases sommaires. Des détails, mais quelque chose visiblement de très important pour elle. Nous étions ces dernier jours dans l'Altiplano et sa nature pure, et aujourd'hui totalement autre part, à faire quelque chose qui n'a rien à voir. Joie du voyage et de l'aventure.


Après avoir rendu les habits de protection, nous sommes laissés à l'agence Amigos de Bolivia. Le défilé militaire n'est pas terminé, ce qui nous permet d'en profiter un peu. Plutôt que de rentrer à l'hôtel, nous profitons d'être là pour aller déjeuner, au même endroit qu'hier soir, sur la place. Nous mettons une heure à être servi, alors qu'il n'y a pas tant de clients que ça dans le restaurant. Au moins, les crêpes salées sont bonnes. Nous ressortons à 15h45, et nous arrêtons dans différentes agences de voyage (souvent, comme toujours dans les pays pauvres, un petit local agencé avec quelques posters et un bureau) pour connaitre les prix et les horaires des bus partant ce soir pour La Paz. La bonne idée, c'est de retourner voir Helena chez Amigo de Bolivia. Renseignements pris, c'est bon, nous prenons nos billets pour le car de 20h. Il faudra simplement repasser pour les récupérer vers 18h. Audrey, comme souvent, verse sa petite larme en quittant Helena, qui, c'est vrai, a été très gentille. Nous retournons à l'hôtel, achetons un paquet de mouchoirs qui sert immédiatement, et nous rendons compte que nous sommes tous les deux un peu malades. L'apogée d'une petite crêve, rien de bien méchant. Dans le hall, nous nous installons à côté de touristes anglais regardant un film pour écrire un article, et il est rapidement 18h30. Nous retournons à l'agence, sans beaucoup de pêche et un peu fatigués (l'altitude assèche les muqueuses en plus), à monter ces rues pentues. Le car partira finalement à 21h. Tant mieux, car cela nous laisse du coup un peu de temps pour manger un bout. Nous passons dans le marché central, retrouvons les rues d'hier, et achetons quelques gâteaux. C'est que nous avons quand même un peu plus de 10h de bus cette nuit.


19h30, la nuit est tombée, et il fait frais. Nous sommes toujours un peu fatigués, sans parler du fait qu'il est préférable qu'Audrey ne porte pas son sac. Sans motivation, nous nous installons dans un fast food de poulet grillé, après avoir tergiversé sur où aller, sans être inspirés par grand chose. On choisit donc la facilité et la rapidité. Pour 5 euros chacun, nous avons droit à un quart de poulet et des frites, juste à côté de l'hôtel. Une heure après, la réceptionniste nous appelle un taxi, et nous voilà partis pour le Nuevo Terminal. Nous n'osons pas dire au chauffeur, jeune, que nous sommes en tour du monde pour un an, lorsqu'il nous demande pour combien de temps nous voyageons. 20h40, nous enregistrons les bagages, dans ce grand hall circulaire où toutes les compagnies de bus ont un guichet. On nous demande de rejoindre le bus par une autre porte (alors qu'il y en a une derrière le guichet), où il faut en fait payer pour rejoindre le "quai". Certes 40 centimes, mais l'idée nous déplait, surtout quand nous voyons finalement d'autres touristes passer par la porte derrière le guichet. Une affaire vite oubliée.


21h10, après avoir vérifié que nos sacs soient bien dans la soute, nous prenons nos places "cama". Le bus est aussi confortable que ceux pris au Chili. Un film (archi nul) est diffusé. Nous nous endormons difficilement. Vers minuit, le bus fait un arrêt, et deux femmes du pays, plus que typiques avec châle, jupe, jupon, chapeau et gros sac coloré transportant de la bouffe s'assoient maladroitement derrière nous. Arrivée prévue demain matin vers 6h. Le trajet va réserver quelques frayeurs, notamment quand le bus dérape un peu sur le bord de la route (sans savoir si nous sommes à côté d'une falaise ou non, à cause de la nuit), et que quelques cris émergent tous en même temps des passagers, touristes ou boliviens confondus. Bref, nous serons contents d'être arrivés, sachant que les routes de cette région du monde sont parmis les plus dangeureuses.

 

 

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