Journée longue et fatigante devant nous, mais qui va valoir le coup. Le temps est parfait, même si nous n'en sommes pas encore sûrs en nous réveillant à 7h30. En revanche, lorsque nous commandons un taxi à la réception de la guesthouse pour nous emmener derrière la montagne, et prendre donc un chemin différent de l'itinéraire classique pour rejoindre le point de vue "Laguna de los Tres", les premiers rayons apparaissent, dans un ciel pur. Il est 9h. Le taxi n'arrivant pas, une des personnes travaillant ici décide de nous emmener, et d'arrondir du coup un peu sa paye. Tant mieux, comme ça, tout le monde est content. Nous souhaitons aller à la Hosteria El Pilar, sur les conseils de l'américain rencontré ces derniers jours (lui et son frère ont fait le même chemin, et ont adoré), afin d'être presque derrière le Fitz Roy, et de pouvoir le contourner pour retrouver le chemin classique par lequel nous aurions dû arriver sinon, dans un aller/retour moins intéressant. Cela va du coup permettre de voir autre chose, de changer un peu, et de ne pas passer deux fois par le même endroit.
Dans la petite Fiat Uno, heureusement bien chauffée, nous prenons une route qui se transforme très rapidement en piste de graviers, souvent gelée, obligeant notre conducteur à rouler tout
doucement. Après une heure, nous arrivons enfin, en ayant pu apercevoir sur le chemin quelques sommets rosir sous l'effet des rayons lumineux, qui n'éclairent pas encore la vallée dans laquelle
nous sommes. D'ici, nous allons redescendre vers le village, en ayant le massif sur notre droite. On nous dépose devant cette "Hosteria", fermée pendant la saison basse. Bien couverts, nous nous
aventurons vers là où nous pensons voir un chemin, qui nous mène finalement après 15 minutes chez quelqu'un, en tous cas à une petite maison perdue au milieu des bois sans personne autour. Nous
n'étions pas sûrs d'être sur la bonne piste, c'est désormais confirmé. Il faut dire que rien n'est indiqué, ni balisé. Il fait un froid sec, sans vent, qui pique un peu parfois. Nous revenons du
coup sur nos pas, pour retrouver le portail de l'auberge en question, au dessus duquel nous passons pour suivre une piste, qui nous mène devant la porte d'entrée, fermée elle aussi. En regardant
notre carte, sommaire, nous devinons la direction dans laquelle il faut aller, mais le manque d'indications à partir d'ici ne nous permet pas de savoir s'il faut prendre à droite ou à gauche lors
d'une intersection rencontrée une minute plus tard, ni à celle qui suit 10 minutes plus loin. Nous prenons à gauche à chaque fois, en pensant qu'il est préférable de rester sur cette rive,
sachant qu'une rivière, gelée par endroits, creuse la vallée et sépare deux versants. Nous faisons les bons choix, en pestant un peu contre ce manque d'informations, et en comparaison des autres
parcs nationaux dans lesquels nous sommes allés. Clairement, il y a des progrès à faire, d'autant que la région veut rivaliser avec d'autres au niveau mondial quant aux activités outdoor et de
trekking. Ce n'est même pas sérieux, quand on sait qu'il n'y a personne à la ronde, que nous sommes à des heures de marche du village et qu'il n'y a pas moyen de se repérer. Une erreur de
trajectoire pourrait coûter plusieurs heures de marche, sans parler de celles qu'il faudrait pour retourner au village par la piste par laquelle nous sommes venus. Nous passons donc une grosse
demi-heure à marcher dans le doute avant d'être sûr d'être sur la bonne voie. L'idée de devoir rentrer nous traverse même rapidement l'esprit par mesure de sécurité.
Pendant les heures qui vont suivre, nous marchons dans un décor magnifique. Nous surplombons la vallée, et avons tout le massif sur notre droite, éclairé par le soleil. Au sol, la neige tombée il
y a deux jours forme une couche épaisse, suffisante pour couvrir toutes les plantes et ne rien laisser passer, sauf les arbres morts, arbustes ou taillis, eux aussi habillés d'un manteau blanc
d'une vingtaine de centimètres d'épaisseur. Personne n'est passé par là depuis : nous marchons donc dans la neige vierge, le chemin se devinant par déduction (le tapis neigeux y est un peu
affaissé), nos pas faisant craquer la neige, sans rien d'autre autour de nous, et à des kilomètres, qu'une nature vierge, d'un blanc brillant, sous le ciel parfaitement bleu. En gros, c'est une
promenade interminable dans une forêt enneigée que nous faisons. A un moment, au début de notre marche, un bruit répétitif, assez faible, se fait entendre, alors que le silence règne depuis
tout-à-l'heure. Nous nous arrêtons, et découvrons trois piverts en train de taper leur bec contre un tronc d'arbre. Drôle. Ils sont à cinq mètres. Nous continuons, après avoir filmé tout ça. Par
moment, nous arrivons sur des endroits dégagés permettant d'être face au massif, d'où un glacier descend. Nous passons entre des branches, nous faufilons entre des taillis en collant les bras le
long du corps pour éviter de faire tomber la neige se trouvant dessus sur nous, traversons un torrent gelé ou même recouvert par la neige en passant sur quelques lattes en bois disposées pour
former un pont sommaire, elles aussi - comme absolument tout - recouvertes par dix centimètres de neige. C'est superbe, et le plaisir est grand d'être là tout seuls, d'avoir ce décor vierge de
toute trace humaine pour nous, de s'arrêter pour contempler la pureté du paysage, et d'être les premiers à en jouir en formant les premières traces de pas. On se croirait dans un champs de coton,
tellement les petits amoncellements sur les branches de certains arbustes y ressemblent, surtout lorsque ce sont une centaine de ceux-ci que nous longeons pendant des dizaines de minutes, ou un
décor un peu différent mais toujours magique. Plus tard, cela nous fait penser à un faux décor de Noël, comme ceux créés dans les grands magasins de notre enfance, mais sur des kilomètres carrés.
Il ne manque que les boules de couleurs pour décorer tout cela. De même, la neige donne un effet particulier aux arbres en dessous desquels nous passons, qui semblent avoir bourgeonné pour
laisser éclore une myriade de fleurs blanches tapissant les branches. Cela dure presque 2h30. Parfois, des traces dans la neige trahissent le passage de lapins, où d'autres animaux que nous ne
savons reconnaître. Puis nous arrivons à un endroit où il est impossible de deviner le chemin. Une sorte de croisement. Nous cherchons, tombons sur une plaine blanche d'où émergent quelques
touffes d'herbes, revenons sur nos pas en pensant nous tromper, repartons en arrière, partons dans une autre direction pendant quelques minutes, mais ne trouvons pas. Nous sommes moyennement
rassurés, car nous n'avons vraiment pas idée de vers où il faut aller. Il est 12h30, et même revenir totalement en arrière et rentrer au village par la piste de graviers serait interminable.
Audrey commence à baliser. Depuis le début, comme maintenant, il n'y a toujours pas de repères, ni de marques sur les arbres, comme c'est généralement le cas sur les sentiers de montagnes. Nous
reprenons notre première intuition, et utilisant nos bâtons pour suivre le renfoncement créé par ce que nous pensons être un sentier. Nous suivons un torrent gelé, en manquant de glisser
plusieurs fois, ou en entendant parfois la glace craquer sous nos pas. Et finalement, au bout de cette plaine, nous retrouvons un indice, puis tombons sur un panneau indiquant le croisement de
plusieurs chemins, invisibles sous la neige. Après dix minutes, nous arrivons à "Poincenot", un camp sommaire permettant de faire une halte. Il est 13h20, et nous grignotons un bout. Nous
repartons vers 14h, sous un ciel toujours parfait, et bifurquons pour nous diriger vers le point de vue "Laguna de los Tres", l'objectif de la marche d'aujourd'hui.
Le camp "Rio Blanco" (une barraque en bois sommaire et fermée) marque le début d'un nouveau sentier, qui va nous conduire là haut, au sommet du flanc que nous nous apprêtons à conquérir, nous
permettant de rejoindre un endroit au pied du Fitz Roy, dont nous nous sommes rapprochés progressivement depuis ce matin. Un panneau indique que le chemin est potentiellement dangereux, et
réservé aux personnes expérimentées et munis de chaussures adéquates. Ca tombe bien, c'est nous. La montée - 450m de dénivelé sur seulement deux kilomètres, soit l'inclinaison d'une piste rouge
en ski en gros - est prévue en une heure. Nous allons en mettre deux. Bonne surprise, des batons jaunes indiquent le chemin, invisible sinon sous ce manteau de neige, qui devient de plus en plus
épais au fur et à mesure que nous progressons. Nous commençons la marche en enfonçant nos pieds dans quinze centimères, pour rencontrer au bout d'une demi-heure 30cm, puis 50cm encore un peu plus
haut. Heureusement, nous sommes bien équipés, n'avons pas froid, avons les pieds secs, et avons nos bâtons, sans qui progresser sur cette pente engagée serait très difficile. Contrairement à
toutes celles que nous avons faites depuis notre départ de France, cette marche est technique. Fred ouvre le chemin, et Audrey marche précisément dans ses pas. Souvent, surtout après 300m de
pris, la neige dissimule une couche de glace, qui manque de nous faire tomber plusieurs fois. Ce n'est pas facile. Fred adore, en se rappelant les souvenirs du Mt Blanc. C'est quand même beaucoup
plus sympa quand c'est difficile, non ? Nous continuons, à allure d'escargots, puis nous arrêtons à un peu moins de 100m de l'arrête que nous souhaitons atteindre, car le chemin n'est plus
visible, et la glace est présente partout sous la neige. Nous hésitons à continuer. Fred tente de contourner une large plaque de neige qui lui semble instable, et qui cache du verglas, mais ne
parvient pas à créer un passage sur lequel nos chaussures accrochent. C'était engagé mais relativement sûr jusqu'à présent en faisant attention et en étant équipé, cela devient dangereux
maintenant. Le stress est présent, et les esprits concentrés. Après les hésitations de ce matin liées aux manques d'indications, l'heure des choix a encore sonné aujourd'hui. Et bien que tout
cela est raconté en quelques lignes, cela fait déjà un bon bout de temps que nous luttons pour avancer et progresser, avec ce que cela demande d'adrénaline, de plaisir, de craintes, et
d'angoisses. Nous nous consultons pour décider quoi faire, et après réflexion, sachant qu'il est déjà 15h30, que le soleil commence à disparaître derrière le massif, qu'Audrey est fatiguée et peu
rassurée, et qu'il faut tout redescendre, Fred juge qu'il vaut mieux redescendre, et privilégier la sécurité. Comme appris lors de différentes aventures, il faut toujours être humble face à la
montagne. Et tant pis pour le point de vue, qui devait pourtant être superbe. C'est un peu frustrant, mais c'est comme ça. La vue d'ici est en tous cas jolie, avec un lac gelé en contrebas à
droite, la vallée, et la plaine de steppe au loin, coincée entre les deux massifs du coin. Nous commençons donc à redescendre, en faisant attention (il est dans ces conditions moins facile de
descendre que de monter). Nous glissons légèrement une fois ou deux. Et après 10 minutes, nous croisons Glenn, un irlandais de la guesthouse, en train de monter vers le point de vue. Nous lui
expliquons que nous n'avons pas trouvé de moyen de passer le tapis de glace dissimulé sous la neige, et il nous propose de le suivre. Il connaît bien le coin, le chemin, et est déjà venu dans la
région, notamment pour une ou deux ascensions. Nous nous regardons, et Audrey lit l'envie dans les yeux de Fred. C'est donc décidé, nous le suivons. Nous n'avons qu'une opportunité. Et alors
qu'elle était fatiguée mentalement et fébrile sur ses jambes, voilà notre amie Audrey qui retrouve des forces et le regard qui rassure. Fred sait à ce moment que nous irons au bout. Etre
désormais trois change toutes les conditions de la progression, en formant une nouvelle équipe. Nous remontons donc la partie que nous venons de descendre. Là où nous nous sommes arrêtés, Glenn
emprunte un chemin complètement détourné, attaquant directement la pente, que Fred n'aurait pas songé à emprunter. En haut, nous devons encore marcher et traverser une plaine couverte par 60cm de
neige, avant d'arriver au point de vue. Là, le Fitz Roy trône magistralement. A son pied, le lac normalement bleu est gelé, et masqué par la neige. Un glacier coule sur la gauche. C'est superbe.
L'impression d'avoir progressé et de s'être vraiment rapprochés du pic est grande. Ses dimensions ont changé. Nous restons un bon quart d'heure, mangeons un bout, avant d'entamer le trajet
inverse. La descente se fait en silence, chacun concentré sur ses pas. En tout, nous aurons mis 2h45 aller-retour. En bas, Fred s'exclame : "c'était génial ! ". Trop envie de refaire un trek sous
la neige avec ses amis, et pourquoi pas intégrant de l'ice-climbing ? Il est 16h45, et la vallée dans laquelle nous sommes est désormais à l'ombre. Nous marchons, dans le même décor blanc et pur.
Le glacier aperçu ce matin, que nous laissons derrière nous, prend du coup une superbe couleur bleu/vert, que nous décidons d'appeler "bleu arctique", et se détache clairement de la paroi. Il est
18h, et avons 17km dans les pattes. La nuit commence à tomber. Nous continuons, nous arrêtons tous les trois une fois ou deux pour regarder le Fitz Roy dans cette lumière crépusculaire, nous
interrogeons sur des traces dans la neige qui pourrait être celles de pumas, et continuons. Nous arrivons 1h30 plus tard, à la lumière de nos frontales, dans le noir, après un dénivelé retour
total de 750m depuis le point de vue. Glenn rentre à la guesthouse, et nous partons faire quelques courses dans le village. Nous avons faim, et avons un peu mal au jambes.
Nous ne trainons pas une fois rentrés. Après 9 heures d'effort et 22km, la douche vaut son pesant d'or, tout comme le dîner, et la douceur du lit, que nous découvrons vers 22h. A 22h05, nous
sommes déjà dans les bras de Morphée. Le programme de demain ? Une nouvelle marche, apparemment aussi longue.
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alain maryse (mercredi, 24 juillet 2013 06:14)
waoo!!!! après cette montée sans doute harassante, vous avez quand même étés récompensés par ces magnifiques paysages. Pour nous sur le canapé ça a été moins fatigant et nous en avons aussi eu plein les yeux.
Sof (mercredi, 24 juillet 2013 08:40)
Bravo les amis et un special bravo à Audrey! :)
Sof (mercredi, 24 juillet 2013 08:44)
N'empeche le "bleu arctique" moi ça me fait penser à du "bleu Harpic"... :-p
CHRISTIANE (mercredi, 24 juillet 2013 09:36)
féli!citation audrey! tu force l admiration!
vous allez vraiment dans des endroits pas possibles!
soyez prudents quant meme
Marie (vendredi, 23 août 2013 13:40)
Un grand Bravo à Audrey.