J19 - Argentine - Perito Moreno

Grand jour aujourd'hui. Nous allons en effet voir une des choses que nous ne souhaitions manquer sous aucun pretexte pendant notre voyage, un des hauts lieux touristiques de Patagonie du Sud, et qui est peut-être LE lieu qui compte le plus pour nous en Amérique latine, avec Macchu Picchu et le désert de sel bolivien : un glacier immensément long et large, qui se termine par un mur de glace bleue, abrupt, se jetant dans un lac. D'habitude, les glaciers, en Europe comme ailleurs (comme ceux vus au Népal par exemple, en NZ, dans les Alpes, ou à Torres del Paine) font quelques centaines de mètres de large, et un ou deux kilomètres de long. Ils descendent généralement le long d'une paroi montagneuse, telle une coulée de mousse figée, prise entre deux arrêtes rocheuses. La partie accessible - si elle l'est - est une morraine, autrement dit une zone glacée recouverte par de la terre ou des cailloux, à cause de glissements de terrain, et les formes à proximité sont arrrondies par l'errosion et les changements de température. Celui que nous allons voir est différent. C'est une véritable mer de glace, visible sur 14km de long et 5km de large, avec une hauteur de glace de 170m, dont de 50 à 70m émergés et visible, prenant sa source 30km en amont, là où l'épaisseur de glace fait 700m, recouvrant au total 250 km² (plus de deux fois la superficie de la ville de Paris) et permettant d'avoir une vue directe sur la zone normalement reculée des glaciers (celle qui fait toujours travailler l'imagination de Fred), à la surface chaotique, pleine de séracs, irrégulière, dangeureuse, semblable à un tapis de fakir aux pointes gelées. Nous avons vus des images, mais ne rêvons que d'une chose, le voir en vrai. Nous n'allons pas être déçus. Wow-effect assuré, et claque visuelle en perspective.


Nous nous levons à 7h30, nous préparons, prenons le petit déjeuner inclus dans le prix en compagnie de l'américain rencontré hier soir, et partons à pied pour le terminal des bus de la ville. Départ à 9h, dans un mini-van confortable et bien chauffé. Les premiers rayons n'ont pas encore franchi la ligne horizontale teintée de rose située à presque 5km autour de nous, et que l'on appelle horizon. Tout le monde dort un peu la première demi-heure du trajet. Lorsque le jour est complètement levé, nous roulons sur une route unique perdue au milieu de la steppe, entourée au loin de montagnes, et arrivons à l'entrée du parc national "Los Glacieres", où nous devons acheter le ticket d'entrée valable aujourd'hui seulement. Le parc fait 5 400km², et abrite 356 glaciers, dont 47 majeurs. 13 d'entre eux descendent d'ailleurs dans l'Atlantique (nous n'avons pas compris comment cela dit !). A regarder de longues minutes cette herbe jaune et ces étendues désertiques, ces sommets qui se rapprochent puis nous entourent, ce grand lac que nous longeons où flottent quelques icebergs, nous réalisons que nous sommes en Patagonie. Cela pourrait être en Nouvelle-Zélande - nous retrouvons ici des choses similaires - mais non, c'est la Patagonie, dont seul le nom évoque espaces vierges du bout du monde, zones reculées, Florent Pagny, et merveilles naturelles illustrées dans bien des livres de photographie et de paysages. Pour y être, oui, les paysages ici sont à la hauteur de ceux que l'on peut s'imaginer. Un condor des Andes plane au dessus de nous, avec ses grandes ailes déployées et immobiles dont le bout prend la forme de doigts écartés. Le mini-van continue sa route, en roulant parfois au ralenti pour ne pas déraper sur le sol quasi gelé. Puis, au détour d'un virage, ca y est, il est là-bas, au fond, et nous apercevons cette langue de glace terminer sa course dans le lac Argentino. Ca paraît énorme. Le glacier disparait après quelques nouveaux virages, jusqu'à ce que nous arrivions au point de vue, d'où partent de nombreux chemins permettant d'avoir différentes vues sur le glacier, qui n'est qu'à une petite centaine de mètres. A 11h30, une excursion en bateau est en option, pour ceux qui souhaitent s'approcher de la paroi du glacier (même si le bateau ne reste qu'à une quarantaine de mètres, pour ne pas se mettre en danger à cause des détachements réguliers d'immenses blocs de glace, dans un bruit plus ou moins assourdissant). Nous choissisons de ne pas la faire, car nous passerons peut-être toute la journée de demain sur un bateau pour s'approcher de deux autres glaciers géants, en plus du Perito Moreno : le glacier Upsala (le plus long de tous, 1000km², grand comme 10 fois Paris) et le glacier Spegazzini (long de 25km, 2 de large, 100m de haut). Bref, des monstres de glace que l'on ne trouve qu'ici. Et on comprend pourquoi, quand on sait que ces dizaines de glaciers prennent tous naissance dans les "hielos continentales sur", ou Southern Patagonia Ice Field, un tronc commun situé à 1500m d'altitude, coincé entre les sommets de la Cordillère, long de 350km, large de 60, où la glace fait 700m d'épaisseur. En gros, une surface légèrement plus petite que la Bretagne, qui est en fait la plus vaste calotte glacière continentale du Globe. Seuls l'Antarctique, l'Arctique et le Groenland ont une taille de glace supérieure. On imagine l'âge des couches inféreures, ou même celui de la glace qui nous fait face quand nous apercevons pour la première fois le Perito Moreno de près. Il est là, et nous sommes devant un espace ahurissant de glace blanche et bleue s'étendant à presque perte de vue. Après quelques pas, et être sortis du bus, nous arrivons devant un point de vue que nous avons du mal à quitter. C'est une claque visuelle comme nous les aimons, qui nous laisse scotchés. Le temps est froid, mais le vent est faible, et le ciel plutôt dégagé, même si l'amont du glacier est couvert par des nuages. De chaque côté, le lac Argentino, et une chaine de sommets assez bas, formant une harmonie de couleurs blanches, bleues et boisées propres aux tableaux peints naturellement par une nature inspirée, donnant l'impression comme quelques autres fois que les choses sont figées devant nos yeux. C'est tout simplement exceptionnel de beauté.


C'est donc avec envie et excitation que nous regardons le plan du site et décidons de faire toutes les marches possibles. Un réseau de chemins face au glacier est en effet amménagé, permettant de le voir sous différents aspects, et de s'approcher de sa partie gauche ou droite. La bonne nouvelle, c'est que nous sommes quasiment seuls, puisque tout le monde est sur le bateau. C'est donc très calme. Un bonheur. Nous marchons sur ce chemin en bois, et nous arrêtons toutes les trois minutes pour contempler ce mur de glace dont nous nous rapprochons un peu en suivant la flèche rouge (le tracé le moins haut et le plus proche du glacier). Parfois, un bruit semblable à celui des avalanches observées à Torres del Paine nous fait tourner la tête : un morceau de glace, plus ou moins gros, s'est détaché, et est en train de tomber dans l'eau. Nous n'aurons pas la chance de voir un énorme sérac tomber, encore moins d'être témoin d'une "rupture", comme celle de mars 2012, la dernière en date. Une "rupture" a lieu quand Le front du glacier avance sur le lac Argentino (le Perito Moreno est en effet l'un des trois seuls glaciers de Patagonie qui n'est pas en regression. Il avance en effet de deux mètres par jour, soit 700m par an) et rejoint la rive où nous sommes. Il divise alors le lac en deux créant une digue naturelle. Le niveau d'eau des deux bras, désormais séparés par la glace, accuse alors une différence pouvant atteindre 30 mètres.  Ce différentiel de pression commence alors à éroder cette partie du glacier, qui devient moins résistant. Un trou se forme, créant une sorte d'arche de glace naturelle, qui lorsqu'elle devient trop fragile, cède sous la pression. Cet effondrement spectaculaire du front du glacier a lieu périodiquement, mais la fréquence de ce cycle est irrégulière, et peut prendre un an comme une décennie. Des photos sont d'ailleurs exposées le long du chemin (voir ci-dessous). Quand on entend le bruit que font les petits blocs aujourd'hui, on imagine le vacarme que cela doit être lors de tels évènements.


Plusieurs heures passent avant que nous terminions d'avoir parcouru tous les chemins. Le temps s'est dégagé et permet ainsi de mieux voir l'amont du glacier, et de se rendre compte de l'étendue de la bête. En regardant tout là-bas, Fred se demande quelles sont les conditions et comment cela est. Dommage de ne pas pouvoir survoler le glacier en hélicoptère. Nous remontons au point de départ après avoir mangé nos sandwhichs en contemplant cette oeuvre de la nature, et refait des dizaines de photos, pour rentrer dans la grande cafétéria prendre un chocolat chaud en regardant les photos de Patagonie dans un beau livre à disposition. Une heure plus tard, nous remontons dans le bus pour rentrer sur El Calfate, à 78km. Le trajet est toujours aussi beau, même si nous passons à côté d'une bonne partie, en nous endormant dans notre siège inclinable.


Nous arrivons à 17h15, et prenons au terminal des bus des informations pour nous rendre à El Chalten après demain, notre prochaine destination. Nous envisageons en effet de faire cette excursion en bateau demain, même si nous hésitons sérieusement, à cause du temps passé à naviguer, du prix, et du fait que nous verrons les glaciers d'en bas, sans distinguer leur longueur. Nous nous promenons un peu dans la ville, qui ressemble un peu à une station de ski (le charme et la neige en moins), et nous arrêtons à l'agence proposant l'excursion en question, où nous apprenons que 170 personnes ont déjà réservé. Ouch. A 18h30, nous retrouvons la guesthouse, nous inscrivons au barbecue organisé ce soir, et discutons un bout de temps pour savoir si nous faisons cette excursion. Finalement, en prenant en compte tous les paramètres, ce sera non. Nous avons peur d'être déçus par le rapport qualité/prix, en avons déjà pris plein les yeux aujourd'hui, nous disons que la satisfaction marginale ne sera pas très élevée, et préférons dépenser cette somme dans d'autres choses à venir ultérieurement. Suivent douche chaude, article en cours d'écriture, Audrey aux sacs, et recherche de guesthouse pour demain soir (pas évident, car tout est cher, complet, en dortoir, ou fermé l'hiver... nous décidons d'attendre d'être sur place pour voir), puisque nous partons à El Chalten demain matin (nous pouvons partir demain matin à 8h avec un car régulier).


A 21h, quelqu'un vient frapper à notre porte pour nous prévenir que le buffet est prêt. En arrivant dans la salle, nous retrouvons avec surprise Paulina, qui tenait la guesthouse à Puerto Natales, et sa petite fille, qui saute au coup de Fred. Elles sont là pour aller voir le Perito Moreno. Cool. Nous nous installons à leur table, discutons, les laissons aller se coucher, discutons avec d'autres voyageurs allant justement à El Chalten demain (une française, un vénézuélien, et un japonais... ils sont super ces japonais, on s'éclate avec eux, franchement, on les adore!), et allons nous coucher vers minuit. Quelle journée. Le Perito Moreno, ce sera un des sites marquants de ce tour du monde. Quelque chose que l'on recommande vivement à tout le monde. Nous n'avions jamais rien vu comme phénomène naturel comparable. Scotchés.

 

 

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Commentaires: 5
  • #1

    Lolo (samedi, 20 juillet 2013 12:27)

    Splendide

    PS: Audrey, tu as oublié de travailler ta souplesse ces derniers mois à tel point que tu es devenue incapable de faire un grand écart devant un si magnifique paysage?

  • #2

    Fred (samedi, 20 juillet 2013 21:51)

    Content que vous ayez pu faire ca.
    Un des plus beaux sites que j ai aussi eu le plaisir de voir !

  • #3

    La Plume de Rosa (lundi, 22 juillet 2013 08:50)

    celui

  • #4

    Marie (jeudi, 22 août 2013 14:04)

    Sublime !

  • #5

    Sophie (mardi, 18 août 2020 19:15)

    Ça me rappelle un épisode de Pekin Express que j’avais adoré ! Mais avec vous on en apprend encore plus.
    C’est top et évidemment magnifique !