Jour 6 : Les deux Cambodge

Dernier jour pour pouvoir utiliser notre pass aujourd'hui. Nous avons décidé d'aller là où un couple de français nous avait conseillé de nous rendre, lorsque nous visitions Banteay Srei, il y a 4 jours. C'est un endroit encore plus éloigné de Siem Reap, au nord, comme ce temple. Vu la chaleur et l'heure, nous avions préféré ne pas poursuivre à ce moment et rentrer à la guesthouse. Aujourd'hui, comme nous avons le temps, et préférons voir quelque chose de nouveau plutôt que de retourner voir les sites que nous avons déjà vus, nous allons prendre un tuk tuk et y aller. Mais c'est quoi au fait cet endroit ? C'est Phnom Kulen, des gravures dans la pierre, par terre, au niveau d'un cours d'eau, dont le débit est faible pendant la saison séche - permettant du coup d'apercevoir ces dessins - et inaccessible pendant la mousson. Il paraît que c'est magnigfique. Découvert en 1967, fermé jusqu'à il y a une dizaine d'années, le site est à 60km au nord de la ville.

 

Réveil vers 9h30, petit déjeuner au bord de la piscine, ordinateur sur la table, lunettes de soleil sur le nez, nous passons une bonne heure à mettre en forme deux ou trois choses sur le site. La guesthouse nous trouve un tuk tuk, qui va devoir faire une heure et quelques de trajet juste pour y aller, mais nous attendons quand même une heure (au lieu des 20 minutes prévues) qu'il arrive. Nous avions hésité à aller en trouver un directement dans la rue, et avons joué les paresseux, mais nous aurions dû. Bref, nous voilà en route vers 12h30, pour une jolie traversée de la campagne cambodgienne, à travers les palmiers, bananiers, et villages, comme l'autre fois en allant vers Banteay Srei. Auparavant, nous repassons dans le complexe d'Angkor, et laissons sur notre gauche ou sur notre droite différents temples. Nous empruntons néanmoins une route différente, plus goudronnée, à un moment, mais nous retrouvons ensuite sur des pistes, avant de reprendre une nationale déserte, large, au milieu de la végétation. La couleur verte se décline en de multiples variations, du vert fluo ou vert-jaune, en passant par différentes déclinaisons de vert foncé. Nous repensons aux paysages indiens, et nous imaginons ce que les couleurs des habitants de ce pays donneraient dans ces décors. Parfois, nous traversons une grande prairie, sans aucun arbre, et apercevons au loin la forêt reprendre son territoire et un mur de palmiers, souvent hauts d'une dizaine de mètres, délimiter la frontière. Plus loin, ce sont les toits des maisons en bois que nous peinons à distinguer, cachés par les énormes feuilles d'autres espèces de palmiers, ou d'autres plantes tropicales.


Vers 14h, nous arrivons. Le site n'est plus accessible à partir de 15h. Notre tuk tuk nous dépose, bien content de se reposer un peu. A force d'accélerer sans arrêt depuis tout ce temps, son poignet le lance (sur un tuk tuk, il n'y a pas de pédale d'accélération, mais une poignée comme sur une moto). Nous marchons à travers un grand espace découvert, avant de rejoindre l'entrée, où nous présentons notre pass. Devant nous, un chemin relativement large et pratiquable, long de 1500m, qu'il faut emprunter et qui demeure le seul accès aux sculptures. N'ayant plus l'air du tuktuk venant nous rafraichir, nous avons vite chaud, ne serait-ce qu'en traversant le terre-plein pour valider nos billets. Heureusement, le chemin est protégé par les arbres, et donc majoritairement à l'ombre. La pente n'est pas très élevée, et nous progressons sans difficulté, à faire quand même attention où nous posons nos pieds (nous sommes en tongues, pas en chaussures), entre par exemple les racines, ou les pierres d'un mètre cube. En montant, nous croisons d'autres touristes qui, eux, redescendent. Une fois là haut, quelques cordes délimitent un espace et empêchent d'aller toucher les pierres. Nous découvrons des gravures de Vishnu, de Ganesh, ou de crocodiles, au milieu du petit torrent, et au niveau du sol. Nous nous attendions à en prendre plein la vue, d'après les quelques échos qui nous ont motivés pour venir, mais ce n'est pas le cas. Nous sommes franchement déçus, et moyennement impressionnés par tout cela. Nous ne serions probablement pas venus d'aussi loin si nous avions su. En revanche, nous nous demandons comment le français à l'origine de la découverte est tombé là dessus, ici en pleine forêt et sensiblement plus haut qu'au début de ce qui est aujourd'hui un chemin balisé, et quel est le sens de ces sculptures. En longeant le cours d'eau (large d'environ 1 mètre, parfois un peu plus), d'autres choses sont gravées à même le sol, comme ces points ronds dessinant un carré, composé d'autres points à l'extérieur, disposés asymétriquement de chaque côté. Les plans d'un temple ou d'un site ? Une carte au trésor ? Des traces extra-terrestres ? Nous cherchons toujours. Enfin, toujours en continuant, nous descendons un petit escalier, à côté d'énormes rochers, afin de tomber sur une jolie cascade naturelle. Nous avons chaud, mais préférons rester secs, si tant est que nous le sommes. L'endroit en lui-même est sympa, mais l'ambiance ne nous engage pas à aller sous l'eau qui coule (un peu trop de monde, certains sont en train de manger...). Nous repartons donc en sens inverse. Vingt minutes plus tard, nous sommes dans le tuk-tuk.


Le retour se fait en deux étapes, car, nous avons décidé de nous arrêter visiter un musée que nous avions aperçu l'autre fois : le landmine museum, ou musée des mines anti-personnelles. Joyeux. Mais intéressant. Une des premières phrases que nous lisons là-bas sert à couper court à toutes les images que les films véhiculent sur les mines, comme par exemple le soi-disant "clic" entendu quand on pose le pieds dessus, et les tentatives hollywoodiennes de remplacer le pied du soldat par un sac de sable. Ca, c'est au cinéma. Dans la réalité, une mine explose dès que l'on pose le pied dessus, car on enfonce immédiatemment un déclencheur dans la TNT. Ce musée, sur le bord d'une route traversant la forêt, et non pas en plein centre-ville, a été crée par un ancien soldat khmer rouge, et dont le rôle était de poser des mines (les khmers rouges envoyaient les enfants les installer), ayant déserté à la fin des années 70 pour rejoindre son ancien adversaire (les forces vietnamiennes), puis, une fois le conflit militairement terminé (bien qu'il y ait encore eu 20 ans de guerre après la fin du régime de Pol Pot en 1979, à cause de périodes dites "transitoires" où l'armée vietnamienne supervisait bien des choses, avant de les confier à l'armée cambodgienne nouvellement reconstituée, tout cela sur fond d'exactions, de batailles politiques, de corruption et d'intêrets divers), est devenu démineur, pour enfin fonder ce musée. Pour la petite histoire, le gouvernement a jugé que ce musée faisait du tort au pays au milieu des années 2000, et a ouvert un autre musée en centre-ville, bien moins intéressant. Il a donc dû fermer, la ville n'ayant visiblement pas de place pour deux musées. Néanmoins, devant le travail accompli par Aki Ra, celui-ci a pu ouvrir de nouveau,  avec l'aide d'un grand réalisateur américain (dont nous avons oublié le nom, désolé), et comprend aujourd'hui un centre d'accueil pour enfants qu'il loge et instruit. Du coup, nous voilà partis pour une heure et demi de visite. L'endroit est petit, quelques pièces sur pilotis disposées autour d'une autre présentant toutes les sortes de mines utilisées pendant le conflit vietnamien, puis sous Pol Pot. Cela va des modèles chinois, aux vietnamiens, aux américains, ou bien aux russes, ainsi que les techniques de camouflage, de déclenchement, ou de mises à feu indirectes. Dans chacune des pièces, d'anciennes mines désactivées par Aki Ra (qui en a en tout enlevées 50 000 à lui seul), mais surtout des photos, textes et témoignages divers. Nous apprenons par exemple dès le début qu'il y a encore entre 3 et 6 millions de mines encore disséminées à travers le Cambodge. Surtout au nord, près de la frontière thaïlandaise. Pourquoi ? Parce qu'à la fin des années 60, la Thaïlande ravitaillait les vietcongs du sud du Vietnam, et faisait donc du Cambodge (situé entre les deux pays) un endroit stratégique. D'où également les innombrables bombardements de l'armée américaine dans le pays, pour couper ce qu'on appelle le "Ho Chi Minh Trail". En 1976, une fois le conflit vietnamien terminé, le régime khmer rouge a installé une des plus effroyabes dictatures qui ait existé, et, entre bien des atrocités (le fait de porter des lunettes entrainait peine de mort ou camps de travail), a miné une grande partie du territoire, et notamment la frontière du nord avec la Thaïlande, pour empêcher bien sûr les cambodgiens de fuir le pays. Des dizaines de millions de mines ont ainsi été posées. Quand la fin justifie les moyens. Le Cambodge est donc aujourd'hui un pays particulièrement meurtri, où les mines continuent et continueront de faire des ravages, auprès d'habitants comme vous et nous, comme, par exemple, il y a 4 mois, lorsqu'un camion allait dans un champs, et que les fortes pluies avaient rendu la terre suffisamment meuble pour permettre à une mine profondément enterrée de se déclencher sur son passage. Et quand on est sur place, comme nous aujourd'hui, que l'on a toutes ces mines autour, que l'on lit des témoignages, comprend comment elles fonctionnent, comment elles sont disposées, que l'objectif n'est pas de tuer, mais de blesser grièvement (car un soldat mort, c'est un soldat de moins sur le champs de bataille, alors qu'un soldat avec une ou deux jambes en moins, ce sont 3 soldats immobilisés sur le front, car deux doivent s'occuper de lui), après avoir vu hier dans la rue des victimes de mines cul-de-jatte demandant un peu d'argent, et que l'on passe à travers la forêt, en observant la vie des gens, et en imaginant que les petits sont peut-être passés cinquante fois à côté d'une mine pas très loin, qui restera dans l'attente d'être déclenchée pendant encore des dizaines d'années, ou que lorsque nous regardons ou regarderons d'ici notre départ les paysages à travers la fenêtre d'un bus, des mines seront peut-être enfouies sans que personne ne le sache, et que le seul moyen est de passer dessus ou de laborieusement déminer la zone, souvent en tatant le sol obliquement avec un baton acéré, puis en la découvrant, avant de la faire sauter ou de la désamorcer... ça fait un peu bizarre. Nous apprenons bien d'autres choses, comme le fait qu'il existe 4 organisations de déminage distinctes dans le pays (dont deux britanniques - une ayant été créée par la princesse Diana - une de l'état cambodgien, et la sienne), ainsi que leur histoire. Ou des anecdotes, comme cet homme ayant perdu une jambe à cause d'une mine et ayant consacré ensuite sa vie au déminage, ayant perdu sa jambe en bois à cause d'un mauvaise manipulation lors d'un désamorçage, s'en étant fait offrir une nouvelle par une association, et ayant de nouveau perdu cette même jambe pour la même raison une seconde fois, avant d'en avoir une nouvelle et définitivement arrêter. Avant de sortir, nous passons à côté d'un champs de mine reconstitué, pour montrer à quel point il est parfois difficile de percevoir le fil de déclenchement, ou la mine elle-même, au milieu des feuillages.


Nous ressortons contents d'avoir vu et appris tout cela, surtout en ayant pu le faire ici, dans ce pays, et dans ce musée, plutôt qu'au coeur d'une grande ville comme exposition temporaire, et, en ressortant, pouvoir immédiatement remettre tout cela dans le contexte, juste en regardant autour de soi, et en sachant que tout cela, c'est ici, autour de nous, non pas à des milliers de kilomètres de là. Parallèlement, c'est aussi une bonne chose que de s'être intéressés à l'histoire récente du pays, celle des gens que nous voyons, celle qui fait leur quotidien, et pas seulement celle, lointaine, du Cambodge d'il y a 800 ans, des temples, et d'une autre civilisation. Surtout que chaque famille du pays a été touché par un ou plusieurs des nombreux conflits récents.


Sur le chemin du retour, nous n'avons qu'une idée en tête : plonger dans la piscine. Vers 17h30, c'est exactement ce que nous faisons. Nous restons à la guesthouse le soir, à dîner sur le bar en bambou pas très loin. RAS.

 

 

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Commentaires: 2
  • #1

    François P. (samedi, 16 février 2013 23:42)

    Merci pour ces informations très intéressantes. Pour le sujet khmers rouges, a lire d'urgence : "l'utopie meurtrière" de Pin Yathai...

  • #2

    christiane (dimanche, 17 février 2013 09:41)

    a l epoque l action de lady di me semblait etre de la com je comprend mieux grace a vous histoire passionante et terrible a garder dans vos mémoires pour nous racconter au retour