Assister à des combats de Muaythai au Lumpinee Stadium de Bangkok

Par Fred

 

Profitant d'être à Bangkok, j'ai voulu aller voir des combats de boxe thailandaise, plus localement appelée Muaythai, afin de voir et sentir une partie différente de la culture nationale, autrement que par des temples, des restaurants, ou depuis la rue. Le sport, c'est aussi et souvent un bon véhicule de la culture populaire, et voir un match de basket ou de baseball aux USA, un match de football au Brésil, ou de polo en Inde, c'est faire quelque chose de différent, de moins commun et en plus d'assez excitant. Ce soir, puisque je suis ici donc, ce sera encore plus original, et ce sera de la boxe, au Lumpinee Stadium, c'est à dire LE stade de la capitale. J'ai de la chance, car c'est vendredi, donc jour de combat. Des vrais combats, pas comme ceux dans certaines autres villes du pays faits pour les touristes, d'après deux témoignages différents dont on m'a fait part ce soir. Des combats où des sommes sont en jeu, pour les boxeurs, leur famille, mais surtout pour les managers, le producteur, et les spectateurs. Je dis "je" car Audrey a préféré rester à l'hôtel pour prendre un peu soin d'elle, n'étant pas sûre d'apprécier les 3h30 de combats qui s'annoncent.


C'est donc seul que je quitte la chambre pour prendre le métro, et descendre à la station qui va bien, après 10 minutes de marche. J'avais regardé le site du stade pour connaitre le prix des billets. 3 catégories sont disponibles : 500 baths (12,5 euros), 1000 (25 euros) et 2000 baths (50 euros). J'en ai également parlé hier à un type de l'hôtel, toujours prêt bien sûr à aider les clients et prendre sûrement une commission au passage. Et il vaut mieux se renseigner un poil, car aller tout seul voir des combats, bien qu'officiels, dans une ville comme Bangkok où je n'ai jamais mis les pieds, 2 jours après être arrivé, ça exige d'avoir une ou deux infos de la part de locaux, comme par exemple savoir si le quartier est dangereux, ou si d'autres touristes vont assister à l'évènement. Tout semble ok. Le quartier ne craint pas spécialement. Faire attention à ses affaires - pour moi la caméra (je laisse l'appareil photo, j'en ferai avec la caméra et l'Iphone, plutôt que d'être trop chargé et de devoir avoir les yeux partout) - et être vigilant, mais c'est tout. Comme d'habitude quoi. Moi, je m'imagine que je vais peut-être être le seul occidental, qu'il va y avoir beaucoup de monde, que ca va boire, et que la situation peut m'échapper. On ne sait jamais, les stades, c'est un peu comme les gares, non ? Bref, tout ça pour dire que je confirme ce matin mon intention d'aller assiter à des combats ce soir. Et, après avoir hésité, lui demande de booker une place à 2000 baths, afin d'être le mieux placé, et de maximiser l'expérience. C'est vrai quoi, même si ce n'est pas négligeable, surtout pour ici, c'est la seule occasion que j'aurai de vivre cela, et dans l'endroit le plus approprié au monde.


Au stade, la soirée commence à 18h30. Je pars de l'hotel vers 17h45, et récupère mon ticket à la réception, sans payer de commission. Cool. Dans le métro, je suis excité, réalise que voilà bien quelque chose d'unique pendant le voyage, ne sait pas trop à quoi m'attendre, repense aux quelques images que je connais du muaythai, notamment aux prières effectuées sur le ring avant le premier round, avec cet arceau autour de la tête, et cette musique lancinante en fond, dans une ambiance loin des combats de boxe ultra produits retransmis à la télévision, et me sens aussi un peu seul, appréhendant un peu de ne pas être détendu au cas où l'environnement soit malsain par exemple. En fait, je ne sais pas bien à quoi m'attendre, à part les détails dont je viens de faire part. Souvenirs de films d'action lointains, d'adolescents. Et puis Bangkok, je ne connais pas, ni personne. Mais c'est sympa d'être - clairement - en terrain inconnu.


Sortie numéro 3. Pas de stade en vue. Je demande. On m'indique la direction, sur la gauche. Je croise un couple d'occidentaux, et leur indique du coup cette direction, en les voyant à ma place une minute avant. La nuit tombe doucement, mais il fait encore jour. Je longe la grande rue, continue sur ce trottoir étroit, et marche pendant presque 10 minutes. Puis je tombe sur un espace, sur ma gauche, grand comme un parking de voiture, où des vendeurs de street food, des gens tout à fait normaux, des occidentaux, des personnes accréditées pour aiguiller les curieux comme moi vers les caisse, leur expliquer les différentes catégories avec un plan de la salle en main, se mêlent dans une atmosphère qui n'a rien d'inquiétante. Je sors ma caméra et filme un coup, ne sachant pas bien si c'est autorisé ici ou à l'intérieur. Il est environ 18h45. Je reste là dix minutes, à observer un peu tout ça, à m'imprégner de l'instant. Quelques boutiques de sport ont leurs portes d'ouvertes. Idée de cadeau que je ne ferai pas, ne connaissant personne pratiquant la boxe. Un short de boxe thai, ou un tee-shirt acheté ici, ça aurait été une bonne idée, non ? Je vois pas mal d'occidentaux, et me sens moins seul. Apparemment, plus nombreux que je croyais sont ceux qui viennent voir un combat, et ils ont tous un appareil photo. Sur la gauche des caisses, une entrée "ringside". Ayant les meilleures places, c'est là que je dois aller ensuite. Génial, je n'y avais pas bien pensé, mais je vais être à côté du ring. L'excitation grandit, simultanément et de manière inversement proportionnelle à l'appréhension de tout-à-l'heure, qui diminue. Allez, je rentre, en suivant un ou deux caucasiens.


Juste sous le panneau "ringside", deux personnes contrôlent mon ticket. Une autre me colle un autocollant sur le polo, me donne une feuille avec le programme des combats, une publicité, et un CD, sûrement promotionnel. Pas mal. Elle m'accompagne jusqu'à mon siège, réservé par un papier sur le dos de la chaise. En fait, l'endroit n'est pas très grand, moins que ce que j'imaginais. Le petit passage entre l'extérieur, où j'étais la minute d'avant, et la salle, ne doit mesurer que 10 mètres. Il y a du monde, mais ce n'est pas plein. Sur le ring, deux enfants se battent. Je suis frappé par leur âge, probablement 14 ans. Premières impressions. Ca y est, je suis dans l'arène. Musique de fond, un peu comme celle jouée pour charmer les serpents. Ma place est au troisième rang. Le top. Je me décale d'une place à droite, car la personne devant moi est trop grande. Je ne sais pas encore que la soirée va être longue, et que nous boirons plus tard ensemble des coups avec ce polonais, et avec d'autres, en ville. Plusieurs couples sont là, et donc pas seulement des hommes. Au dessus du ring, des dizaines de mouches dansent chaotiquement, entourant les jeunes "fighters". Après un tour d'horizon rapide, la ringside est en fait plutôt fréquentée d'occidentaux, les seuls pouvant/souhaitant mettre peut-être autant d'argent dans la soirée. Une fille, au tee-shirt à l'effigie du "stade", passe pour prendre commande d'une bière. Une autre pour proposer des choses à grignoter, un peu comme au cinéma. Je pense à Audrey, qui aurait surement bien aimé. Pour l'instant en tous cas, car pendant plusieurs heures, ça peut être long.


Je regarde le programme. En ce moment, c'est le premier combat, sur les 11 prévus. Sur la colonne de gauche, le nom des combattants, et la couleur de leur short respectif. A droite, leur poids. 64 Pounds. 48 kilos. Pas gros, hein. Je descends du regard la page, et les combats suivants vont jusqu'à 67 kilos. En fait, le muaythai, contrairement à la boxe anglaise par exemple, où le poids compte beaucoup, se joue surtout à la force des coups, l'impact, la résistance, et la dureté des tibias. Moins à la masse. Une ligne indique "main (en anglais)", pour le neuvième combat. Ce sera donc le combat principal. Sur scène, les rounds passent. Entre chacun, les deux combattants rejoignent leur coin, sont massés et rincés par deux personnes, et encouragés par leur coach. Au fur et à mesure que le cinquième et dernier round approche, l'engagement se fait plus présent. Moins d'observation, on cherche plus à marquer des points, par des "touches", comme avec un coup de genou lorsque les deux sont collés l'un contre l'autre, ou à mettre l'autre KO. Je commande une bière, comme certains autour de moi, depuis ma place. On me l'apporte 3 minutes plus tard. Je discute avec d'autres personnes, notamment du poids et de l'âge des stars du jour. Ca devient sympa. Les combats se poursuivent. A chaque début, les deux boxeurs arrivent avec une cape, et un arceau autour de la tête, qui doit avoir un sens probablement religieux. La musique, jouée par des musiciens sur ma gauche, s'arrête entre chaque combat, reprend pour la phase pré-fight, et s'arrête de nouveau entre chaque round. Les boxeurs tournent lentement sur eux-mêmes, genou levé, en effectuant une danse rituelle, et vont se recueillir à chaque coin du ring. J'imagine que cela est pour attirer la volonté des dieux, mettre la chance de leur côté, et se concentrer. A partir du quatrième combat, l'âge de ceux sur le ring tourne plutôt autour de 18 ans. Toujours jeunes donc. Ils sont plus costauds, mais très secs. Les coups portés ont plus d'impact, et leur bruit fait bien comprendre que l'énergie libérée ne doit pas être négligeable. Surtout quand on sait qu'ils s'entrainent à frapper sur des bambous, pour que les nerfs du tibia se déplacent latéralement, afin de diminuer la sensibilité, et donc de pouvoir frapper plus fort. En général, la moitié des coups viennent des jambes, en frappant dans la partie basse, et quelques fois, mais plus rarement, au niveau de la tête. Le reste est partagé entre coups de poings et coups de genou, seulement utilisés lorsque les deux boxeurs se tiennent l'un l'autre. Difficile de savoir si ces coups de genou, à la manière dont les deux se tiennent et dont ils sont parfois donnés, font mal ou si cela est juste pour marquer des points. J'imagine que cela doit dépendre des fois. 


Un couple d'allemand vient s'assoir sur les deux places vides à côté de moi, car leurs précédentes étaient près des musiciens, trop bruyants pour eux. Lui pèse 90 kilos, mesure 1m90, et est tattoué un peu partout. Nous venons à discuter, surtout quand j'apprends qu'ils ont quitté leur boulot et font un tour d'Asie pour 5 mois, depuis seulement deux semaines. Nous nous lions d'amitié, buvons une ou deux bières offertes mutuellement, et commentons tous ensemble le spectacle devant nous. A un moment, j'apprends qu'ils ont fait le Kilimandjaro comme premier trek l'année dernière, et quand je leur montre mes photos du sommet, ainsi que d'autres du Népal, lui se lève et porte un toast avec un "he's the man" qui nous rapproche encore plus. Il me montre ses photos avec les boxeurs précédents, prises dans les coulisses. Devant mon étonnement, il m'apprend qu'elles sont facilement accessibles, et juste derrière nous, en passant par ce couloir, là bas, à 20 mètres. Il décide de m'y emmener, pour avoir bien sûr des photos similaires. La soirée bat son plein, ou presque, car dès lors, nous allons former un groupe, avec ce couple de polonais, ainsi que celui de tout à l'heure, et plus tard Audrey que nous viendrons tous chercher à l'hôtel pour sortir sur la très agitée Kao San Road. Mais il reste encore 1h30 de spectacle. Nous allons aller et venir tous ensemble entre nos places et les backstages, à prendre des photos, observer les boxeurs se faire masser avant ou après les combats, les voir se concentrer, voir leurs préparateurs physiques poser ou enlever l'élastoplast mis sous les gants, ou encore aller voir dans une autre salle, pas très loin, un des deux boxeurs principaux, en train se mettre en conditions, pour l'encourager, et - les quelques bières et l'influence allemande aidant - lui dire que nous avons pariés un peu d'argent sur lui (bon, ce n'est pas vrai, mais on s'est dit que cela lui donnerait encore plus l'oeil du tigre). Accompagné par cette masse qu'est mon ami d'un soir, avec tous ces occidentaux, l'ambiance parfaitement sûre où pas une once de violence ne se fait sentir en dehors du ring, où les filles accompagnant leur copain sont à l'aise, et le privilège de pouvoir aller en coulisse comme si j'allais aux toilettes - d'ailleurs toutes proches - je me sens comme chez moi, et passe une excellente soirée, à rencontrer d'autres voyageurs sympatiques - en plus d'assister à un spectacle original - et tenant absolument à me témoigner leur amitié. En fait, même si cela paraît surprenant, les boxeurs aiment bien que les touristes viennent les voir, les observer, ou prendre une photo avec eux, car cela participe à une forme de starification, que l'on peut facilement comprendre. Du coup, tout cela est accessible, car les choses se passent bien, et le côté promotionnel apporte plus d'avantages que d'inconvénients. Je prends aussi une photo avec des enfants autour. Les boxeurs sont tout petits, ils m'arrivent au menton. Croissance stoppée par l'entrainement ?


Le huitième combat se termine avant le round final, et sur une chaise roulante pour l'un des deux boxeurs. De trop nombreux coups de pieds au niveau du tibia l'ont en effet fait tomber par terre et ont eu raison de lui. L'arbitre stoppe donc la rencontre et déclare le vainqueur. L'autre se relève, et sort du ring en boitant méchamment. Les deux minutes d'avant étaient pleines de ferveur, vous auriez vu la salle, à encourager celui qui frappait. Et sa famille aussi, juste derrière le coin du ring, dans l'espace qui lui est réservé. Oncles, tantes, parents, frères et soeurs, ils étaient tous là. Et là, je me dis que c'est spécial, que je ne souhaiterais pas voir mon fils à cette place, et qu'en même temps, c'est un sportif qui représente quelque chose pour ses proches, et sûrement une source de revenus. Quoiqu'il en soit, il vaut mieux de toutes façons qu'il soit accepté par son entourage, plutôt que d'être tout seul à pratiquer, peut-être par necessité, ce sport violent, à cet âge.


Avant le combat principal, j'assiste à une démonstration, que nous pensons tous être au début un véritable combat, même si les shorts différents (de simples bouts de tissus), et que les deux ne portent pas de gants, (mais simplement le bandage traditionnel) nous mettent la puce à l'oreille. Coups de pieds retournés, enchaînements techniques, simulations... c'est impressionant, mais planifié. Cela a le mérite de faire monter l'ambiance avant le combat que tout le monde attend (surtout d'ailleurs le producteur et les locaux ayant mis de l'argent en jeu). La salle est remplie, bruyante, comme depuis pas mal de temps, avec en fond sonore cette musique qui ne s'interrompt jamais très longtemps. Je vois l'adolescent de tout à l'heure monter sur le ring. A nous 7 (le couple d'allemand, le couple de polonais, l'autre polonais, et l'australien) nous formons deux équipes pour savoir qui va gagner, et donner tous autant de voix que nous pouvons depuis notre troisième rang. Vous imaginez qu'à cette heure, et après tout cela, ça donne quelque chose. D'autres occidentaux autour se prennent au jeu. Ambiance survoltée. "Ouuuuhhhhh", "ooooohhhh", "c'moonnnnnn", ou "get him" se renvoient la balle entre nous, entre de brefs mais bruyants applaudissements. Les perdants payent leur tournée. Ce ne sera pas mon cas, et le short bleu, celui des vestiaires, gagnera. Nous repartons en arrière-salle pour féliciter le vainqueur, et prendre encore quelques photos (que j'espère recevoir bientôt, car prises avec l'Iphone de Marcus et Felicia, les allemands).


Les deux derniers combats ont lieu, et j'en manque une partie, à être de l'autre côté. Une fois terminés, la salle se vide, mais nous restons tous car nous souhaitons prendre des photos sur le ring. "Ok pour monter dessus, mais vous restez à l'extérieur des filets", nous fait-on comprendre. Tournée de photos, chacun notre tour ou ensemble, à prendre la pose ou faire les pitres, façon JC Van Damme. On s'amuse. Et les lumières s'éteignent. Il est 22h.


Dehors, impossible de se quitter comme ça, après ces quelques heures fantastiques et uniques. Les polonais suggèrent que nous allions sur Kao San Road. J'essaie d'appeler Audrey, qui ne répond pas, pour la prévenir que je passe la chercher. Du coup, tuktuk pour tout le monde, que j'offre, direction l'hôtel pour prendre la miss avant de continuer comme suggéré par nos voisins européens. Mais ça, c'est encore une autre histoire, qui se terminera vers 3h du matin.

 

 

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Commentaires: 7
  • #1

    christiane (mercredi, 06 février 2013 08:19)

    tu as vraiment le don pour trouver ce qu il y a a voir dans une ville
    et que les autres ne voient pas
    j ai tout de la fieretée d une poule qui as pondu un oeuf devant la
    qualité des articles de mon fils bravo

  • #2

    ISABELLE F (mercredi, 06 février 2013 16:01)

    Je te reconnais bien la, FRED, toujours curieux de tout et avec autant de peps.
    Bravo

  • #3

    Sof (jeudi, 07 février 2013 18:38)

    Extra!!! :-)
    Et je suis d'accord ac la maman de Fred sur la qualité des articles: vous arrivez à me rendre totalement ridicule dans le tram car je pouffe de rire toute seule en vous lisant!

  • #4

    Fred (jeudi, 07 février 2013 21:44)

    Mouais, bon la boxe Thai en Thailande c est pas tres original L)
    Je rigole bien sur Mme Gilbert !

    Bon par contre, plus serieux, il m a l air tout petit ce boxeur. T as essaye de te le faire pour voir si nos cours de boxe a Reims avaient servi a quelque chose ?!

  • #5

    François P. (jeudi, 07 février 2013 21:52)

    La prochaine fois essaie d'avoir un peu plus de couilles et de provoquer un des boxeurs. Ça serait une bonne histoire de pouvoir dire que tu l'as mis KO (ou qu'il t'a cassé deux dents...)

  • #6

    Alex Besombes (samedi, 16 février 2013 11:25)

    Génial ton article Fréd, je ne suis pas allé voir les combats et j'avoue que là j'ai une bien meilleure idée de l'ambiance !! :) ça a dû être une soirée géniale. Je pense que tu devrais faire écrivain, tu as une mémoire folle des détails !! :)

  • #7

    JB (lundi, 18 février 2013 13:52)

    Hey! Bien costauds ces petits thais!! Sympa la soirée en tout cas!
    On en redemande! Bises