Jours 18 à 20 - Jaisalmer

C'est reparti pour une nouvelle nuit passée dans les couchettes d'un train express, qui va mettre presque 7h pour parcourir les 350km qui nous séparent de Jaisalmer, la ville à la couleur de sable aux portes du désert. La nuit passe difficilement, agitée par les secousses de la voie, les odeurs des toilettes toutes proches, et les klaxons du convoi (vous savez, ces longs sifflements que l'on entend que dans les films, puissants et continus). Il se trouve en effet qu'ici, les machinistes ont la même manie, le même goût, pour se faire remarquer que les automobilistes. Nous nous sommes régulièrement demandés s'il tentait de faire peur aux troupeaux avoisinants les voies (afin d'éviter un accident) - où le conducteur serait de toute manière en tort - si la législation le lui obligeait (mais on n'y croit pas!), et pourquoi il fallait que les trains se fassent autant remarquer alors que leur chemin est pourtant tout tracé. Néanmoins, nous arrivons à bon port vers 6h du matin. L'heure désormais habituelle pour réveiller le personnel de l'hôtel!

 

Nous sortons ainsi du lit les personnes dormant sur les matelas à même le sol à côté de la réception, lorsque nous sonnons avec insistance à notre arrivée. Il fait presque jour, mais pas tout à fait encore. Notre chambre n'étant pas prête, on nous conduit sur le toit, où se situe également le restaurant, pour finir notre nuit sur des matelas posés autour d'une ou deux tables dans un petit coin. Nous ressortons nos duvets pour un peu plus de deux heures. A notre réveil, nous apercevons plusieurs clients pas très loin, en train de prendre leur petit déjeuner. Nous sortons nos têtes et regardons autour de nous. Le moment est un peu décalé, et amusant. Il fait frais, mais ca va. Nous découvrons l'instant d'après le fort, à une centaine de mètres, en haut de sa dune de sable. Jaisalmer est en effet une petite ville, et notre hôtel bien situé, juste au pied de cette dernière. La surprise est totale quand nous croisons notre ancien chauffeur, Babou, qui conduit de nouveaux clients et s'est arrêté ici aujourd'hui. Nous ingurgitons un thé, à peine terminé lorsque quelqu'un nous indique que notre chambre est prête. Nous allons de suite y poser nos affaires, prendre une douche, et planifier le reste de la journée. Le temps passe vite, nous traînons. Nous avons le temps, car nous avons une nuit ici, une dans le désert, et toute la journée qui suit.

 

Après avoir déjeuné en plein soleil face au fort, nous partons à la découverte du palace protégé par celui-ci. Les teintes sont jaunes, beiges, sablées, et parfois rouges ou ocres. Nous croisons quelques ouvriers en train de tailler, à la main et au burin, des pierres d'environ cinquante centimètres sur cinquante, destinées à consolider les fondations. D'un coup, un bref instant, nous sommes transportés au temps où cet édifice fut construit, et revivons par ce simple détail le travail que tout cela a dû demander. Nous le savions, évidemment, mais de voir ces hommes travailler à côté de cet échafaudage en bambou et en corde, accroupis avec leur marteau et leur burin, nous interpelle. Nous avions vu ce genre de chose une fois au Népal, lorsque des hommes aménageaient une route. Retour au Moyen Age. D'ailleurs, ces hommes font un travail utile, car l'endroit est menacé partiellement d'effondrement, à cause de certaines canalisations (et surtout fuites) d'eau qui fragilisent les murs (tous faits de grès et de sable provenant du désert aux alentours). A l'époque, le débit et la circulation de l'eau n'avait rien à voir avec ceux d'aujourd'hui (même si l'on est loin de ce qu'il existe plus ou moins dans les grandes villes indiennes, sans parler de Delhi, et encore moins de nos agglomérations). Nous apprenons qu'une association anglaise travaille activement pour éviter le pire, et que cette construction fait partie des 100 les plus menacées au monde. Dans un autre registre, nous croisons aussi une famille dont la petite fille, qui doit avoir 8 ans, marche sur une corde à longueur de journées pour attirer les touristes. Tristes réflexions sur la condition et les perspectives de toute une frange de la population.

 

Le fort, construit en 1156, est composé de plusieurs murs de fortifications, et s'y trouve à l'intérieur une série de ruelles entremêlées, de boutiques diverses donnant directement sur l'étroit passage que nous empruntons, des temples jains et hindous... La visite du City Palace dure une heure et demi, nous y découvrons des sculptures, une salle aux miroirs, qui était en fait la chambre du Maharadja (et qui reflétait à l'époque les rayons des lanternes posées un peu partout) et autres armureries. Comme d'habitude, les passages sont étroits, les plafonds bas (afin de réguler le flot des ennemis en cas d'attaque, et donc de mieux pouvoir se défendre) et constituent un réel labyrinthe. Nous allons ensuite nous promener dans les rues, à la recherche de ces maisons d'époque richement décorées, qui appartenaient aux marchands, négociants, et notables régionaux, qu'on appelle "havelis". En arrivant devant la Patwa-ki Haveli, nous tombons sur un guide parlant parfaitement français, que nous embauchons pour découvrir les cinq sections qu'elle comporte. Elle a appartenu à cinq frères ayant fait fortune dans les bijoux durant la première moitié du 19ième siècle. Aussi bien l'extérieur que l'intérieur témoignent d'un pouvoir financier important. Les sculptures dans la pierre ont par exemple la finesse de broderies. Nous apprenons que la femme de Gandhi est à l'origine de la bonne conservation de l'endroit, suite à son intervention lorsqu'elle découvrit que tout cela n'était pas entretenu. En outre, pas de publicité, pas d'étalages sur la façade ou sur les côtés, et des règles drastiques concernant les quelques boutiques, adjacentes afin de respecter les contraintes et le statut de ce bâtiment classé. Enfin, nous rejoignons notre hôtel par une grande boucle, dans la mesure où nous faisons le tour du fort par le cercle extérieur. Le soleil se couche doucement, et les murailles changent délicatement de couleurs au fur et à mesure. Des enfants jouent au criquet. Repas tranquille à l'hôtel, basique, sauf la pizza au nutella que nous prenons comme dessert.

 

Le lendemain, nous partons le matin visiter des temples Jains, nos premiers du séjour. Ils nous surprennent par leur beauté. L'architecture recherchée, travaillée, fine, précise, détaillée et minutieuse tranche avec le relatif dépouillement de certains temples hindous de certains moments (mais pas pour l'ensemble d'entre eux). Nous tombons sous le charme de ces monuments construits aux 15 et 16ième siècles. La religion Jain est dérivée de l'hindouisme, et date du 5ième siècle avant JC. Après un déjeuner rapide, dans un restaurant meilleur que d'habitude (Natraj Restaurant, conseillée par la Lonely Planet) , l'heure de notre rendez-vous pour le "camel safari" approche. Nous devons être à 13h30 à l'hôtel. Un article spécifique détaille la suite.

 

Le lendemain, à notre retour, nous avons eu droit à une chambre (qui n'était pas prévue) pour prendre une douche. Sympa, ça c'est du service ! Retour ensuite dans le fort pour visiter les temples hindous qui sont, malheureusement, fermés. Changement de programme donc, nous décidons d'aller voir une autre haveli, puis le lac de la ville situé un peu plus loin. Sur le chemin, comme souvent, nous croisons quelqu'un et restons à discuter. Aujourd'hui, c'est une femme. Elle vend des babioles, ainsi que des étoles, fabriquées par d'autres femmes n'ayant aucune éducation et ne pouvant faire valoir leurs droits. Conversation extrêmement instructive. Elle nous explique les signes que portent les femmes mariées hindoues, comme cet anneau dans le nez, ou encore ceux des femmes musulmanes mariées (qui portent le même anneau, et une chaine le reliant à une boucle d'oreille), et découvrons le sens de l'esthétique indienne, dans ce cas à propos des ornements et bijoux. Elle raconte également que les femmes ont peu de droits (comme souvent dans bien des pays en voie de développement ou émergents, ou ceux à forte dominance religieuse), qu'elles doivent rester à la maison, et qu'elle-même est rejetée par sa famille suite à l'ouverture de sa boutique et à cause de son combat. Poids des traditions, de la peur et du non-dit. Importance de l'éducation. On comprend que les 2/3 de la population mondiale nous envie, nous, occidentaux. Lorsqu'un peu plus tard, Fred posera la question à des hommes pour comprendre pourquoi il n'y a jamais de femmes travaillant dans les restaurants, dans les hôtels ou boutiques, ils répondront qu'elles ne sont pas allées à l'école et ne peuvent donc faire du commerce ou travailler étant donné leur illéttrisme. Regret de ne pas avoir demandé sur l'instant pourquoi, elles, ne vont pas à l'école (c'est un peu l'histoire de l'oeuf et de la poule). Pour nuancer, nous dirions que nous n'avons néanmoins pas l'impression que les femmes sont enfermées comme cela peut être le cas comme on pourrait l'imaginer autre part.

 

La Salim Singh-Ki-Haveli est plus décevante que l'autre, mais ne bénéficie pas du même soutien financier non plus. En aparté, nous constatons le peu d'entretien du patrimoine culturel du pays, suite à tout ce que nous avons vu et visité depuis trois semaines. Les choses exposées sont rarement dépoussiérées, certaines choses pas protégées (des mains des touristes, des pigeons omniprésents... ou encore de la pollution ambiante) et, pour l'anecdote, bien des cadres ne sont pas droits. Ensuite, pour nous réconforter de notre tour du lac très décevant et sans intérêt, si ce n'est de prendre du recul pour observer le fort d'un peu plus loin, nous décidons de prendre un lassi, qui s'avère toujours aussi goûtu !  Back to the hôtel en fin d'après-midi, écriture des articles, chargement et tri des photos et vidéos, repas... puis départ vers notre station de bus, pour aller vers Bikaner, notre avant dernière étape en Inde.

 

En fait, pas de station de bus. Nous sommes au bord d'une grande route, en ville. A l'heure dite, 21h30, un bus local passe en ralentissant, avec un homme debout sur le seuil de la porte en train de crier "Bikaner Bikaner". Nous lui faisons signe, le bus s'arrête le temps d'une minute, un peu plus loin, pour nous laisser monter. Les bagages seront mis dans la soute au prochain arrêt, et après avoir insisté lourdement. Nous voilà donc dans un bus-couchette local, un peu en hauteur dans une sorte de cage de moins de deux mètres, au-dessus des sièges classiques, avec de la place pour deux et un rideau pour passer la nuit. Marrant, quatre étudiants français font aussi le trajet. Ils sont là pour plusieurs mois, et nous font part de leur sentiment et aventures, comme nous le faisons lorsque leurs yeux s'écartent avec envie au moment où nous leur disons que pour nous, c'est tour du monde. La route sera accidentée, mais nous parviendrons à dormir, tant bien que mal, pour arriver à l'arrêt final, le nôtre.

 

 

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